Fuir de la cafetière, les machines «Made in France»
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Re: Fuir de la cafetière, les machines «Made in France»
L'entrée en scène de l'Italie dans cette histoire, c'est dans à peu près un siècle... on va avoir le temps de voir venir .
pootoogoo- Admin
- Date d'inscription : 20/01/2012
Nombre de messages : 3593
Re: Fuir de la cafetière, les machines «Made in France»
On s’est attardé jusqu’ici aux deux premières cafetières « filtrantes »... qui marquent le début d’une longue histoire.
Le rythme va maintenant s’accélérer quelque peu, car on rentre dans une période extrêmement prolifique dans l’invention des cafetières, et la majorité de l’action se passe en France.
Sous l’impulsion d’institutions comme l’Académie des Sciences*, les Arts et Métiers et la naissance des Brevets d'invention, mais aussi grâce à l’influence de certains gourmets (comme Grimod de la Reynière et son « Almanach des Gourmands ») ou d'hommes d'influence, figures marquantes de ce début de siècle à la recherche de la meilleure et/ou de la plus économique technique d’extraction... la technologie va rapidement évoluer.
Entre 1806 et 1855 (soit entre Hadrot, avec sa Dubelloy revisitée, et Loysel, avec son monstre percolateur présenté à l’exposition universelle), pas moins de 178 Brevets ou demande de perfectionnement de cafetières ont été délivrés en France.
Je vais vous épargner le passage en revue de chacune de ces inventions (enfin surtout sur la fin), et tenter de mettre en relief quelques évolutions marquantes ou loufoques de cette épopée, « de [a-] à [-zel] » (de Hadrot à Loysel).
De [a-] à [-zel], première partie (1806-1824) : la cafetière « italienne »... vraiment ?
Bon, tout le monde sait que c’est un français (Denis Papin) qui a inventé la machine à vapeur dès 1690 et que l’idée a été récupérée plus tard par un anglais qui se l’est appropriée... il en va à peu près de même pour l’utilisation de la vapeur dans la préparation du café.
>1806<
Le siècle commence doucement avec Hadrot suivit de Sené, tous deux ferblantiers à Paris, qui présentent en 1806 et 1815,** deux modèles de cafetières qui ne sont autres que deux Dubelloy revisitées.
Cafetière de Hadrot (source: « Archives INPI »)
- La première, la « cafetière filtrante sans ébullition et à bain d'air » de HADROT (Ferblantier au 43, rue Saint-Sauveur) apporte une légère amélioration à la Dubelloy au sens où les matériaux choisis sont plus résistant à la corrosion que le fer blanc alors utilisé (en le remplaçant par de l’étain durci, dit « étain de Bismute ») et que la cafetière comporte une double paroi (le fameux « bain d’air ») pour une meilleure conservation de la chaleur.
+
>1815<
- La « cafetière propre à faire du café sans ébullition, dite cafetière-Sené » de Jean-Baptiste-Louis-Marie SENÉ (Ferblantier au 31 et 32, passage du Saumon... tiens ) est une sorte de Dubelloy en kit, constituée de 5 morceaux et trois parties (la bouilloire, le filtre et la cafetière tête à l’envers) maintenues ensemble par des fermetures à baïonnettes et des attaches de cuivre, afin (si j’ai bien compris, car ce n’est pas clairement explicité) de retourner l’ensemble lorsque l’eau est chaude et récupérer ainsi le café filtré dans la cafetière.
+
>1819<
C’est le même principe qui est proposé et amélioré quelques années plus tard (en 1819 et 1820) par Jean-Louis MORIZE (Ferblantier Lampiste au 10, rue Boucher à Paris).
Cafetière Morize (source: Polytechnisches Journal)
+
Ce type de cafetière, de par sa simplicité, semble avoir eu un certain succès, car on en retrouve de conception similaire jusqu’au XXe siècle, comme ici sur un tableau d’Henri Matisse de la fin du XIXe :
« Fruits et Cafetière » d'Henri Matisse, vers 1898
>1819<
Cafetière Laurens (source: « Description des machines et procédés spécifiés dans les brevets d'invention », 1820)
Les choses deviennent plus intéressantes avec l’invention proposée par Joseph-Henry-Marie LAURENS (Ferblantier au 31, passage du Saumon... décidément ) et son « procédé de fabrication d'une cafetière à filtrer sans évaporation » daté de 1819. C’est en effet le premier à utiliser la pression de la vapeur pour faire monter l’eau bouillante dans la partie supérieure à l’aide d’un tuyau. L’appareil proposé est assez sophistiqué, mais fonctionne toujours en filtration douce : l’eau montante est déversée chaude sur le café contenu entre deux grilles. Le café passé se retrouve dans un deuxième réservoir et la fin du passage de l’eau de la partie basse à la partie haute est signalée par un sifflet.
+
La transition vers le principe de la cafetière dite « italienne » (de type Bialetti ou Bacchi) où la pression force le passage de l’eau à travers la mouture se fait graduellement :
>1820<
En 1820, Jean-Ambroise GAUDET (fabricant ferblantier au 19, rue de la Croix, Paris) propose un « procédé de fabrication d'une cafetière à double filtre, propre à faire le café avec ébullition, sans évaporation » qui est une sorte d’hybride entre la Dubelloy et la cafetière italienne dite « Cafetière à Cilindre » (sic) :
un tube en forme d’entonnoir dirige bien la montée d’eau à travers la mouture, mais il y a retour du café dans le réservoir inférieur (et possibilité de plusieurs passages, ce qui est présenté comme un avantage). Le café est contenu dans une boîte avec des grilles, et une toile est utilisée pour éviter le passage du marc dans la café.
Cafetière Gaudet (source: « Nouveau manuel complet du ferblantier et du lampiste »)
+
>1824<
Cafetière de Caseneuve (source: « Archives INPI »)
Cette conception est similaire à celle proposée par André CASENEUVE (Ferblantier au 6, place de Vannes, marché neuf Saint-Martin, Paris) en 1824, sauf que dans son cas le café est récupéré dans un deuxième contenant sur le pourtour de la bouilloire qui est munie d’un système de fermeture hermétique et peut être servi par un robinet (« cafetière dite économique, conservant sans évaporation le principe aromatique du café »).
+
>1822<
Les ferblantiers et lampistes ont tenu le haut du pavé jusqu'à présent, n'est-ce pas un peu louche ? Que faisaient donc les ingénieurs de l'époque ?
Pour trouver le véritable inventeur du principe de la cafetière italienne, il faut partir en Angleterre où Louis Bernard RABAUT (de Skinner Street, Snowhill, Londres) a déposé un brevet en 1822 intitulé « Improved Apparatus for the preparation of Coffee or Tea ».
Cafetière de Rabaut (source: The Repertory of Arts, Manufactures and Agriculture, 1822)
Ce qu’on a ici est la toute première cafetière de type « Biacchi » où l’eau passe sur la mouture par la pression de la bouilloire et coule par un tube vers l’extérieur.
L’honneur est sauf puisque Rabaut est un français expatrié... Mais puisqu’on est à la recherche de l’inventeur de l’application de la vapeur au passage de l’eau sur de la poudre de café, on ne peut que s’incliner devant un allemand... et pour cela faire un nouveau saut en arrière.
Le personnage de l'ombre
>1818<
Elard RÖMERSHAUSEN (non, pas Robert Hossein ) est un théologien, philosophe, prédicateur et inventeur allemand du début du XIXe, ayant à son actif plusieurs réalisations tournant autour de l'utilisation de la vapeur.
Il décrit dans son ouvrage « Dr. Romershausen's Luftpresse eine in den Königlich-Preußischen Staaten patentirte Maschine zum Extrahiren, Filtriren und Destilliren », publié en 1818, la toute première machine à café se servant de la poussée de la vapeur pour faire passer de l’eau bouillante sur de la mouture. Son invention est rapportée dans deux articles de 1821 du Polytechnisches Journal (Volume 4, No. LI, p. 420–425 et Volume 5, No. LXIV, p. 385–415) et ressemble étrangement à l'invention déposée l'année suivante en Grande-Bretagne. Selon toute vraisemblance, Rabaut avait lut cet article avant de déposer son invention:
Presse à vapeur de Römershausen (source: Polytechnisches Journal)
Dans le deuxième article de 1821 (plus général), est aussi présenté un modèle plus sécuritaire (car il évite aux bouilloire sans surveillance d'exploser) qui inclut un piston actionné par une manivelle. Je n'ai pas réussi à comprendre si cette modification était aussi une idée de Römershausen ou celle d'un autre (le Professor Marechaux, auteur de l'article ?) mais à bien y regarder, c'est une machine à levier avant l'heure avec traversée de la mouture de bas en haut:
Presse à vapeur de Römershausen (source: Polytechnisches Journal)
Sont aussi proposés des modèles plus compacts, propre à la préparation ménagère du café (les deux de droite utilisant une presse à vapeur, les deux de gauche une presse ou pompe à air):
Presse compactes à air et à vapeur de Römershausen (source: Polytechnisches Journal)
Tel que cela est rapporté dans un autre article plus tardif du Polytechnisches Journal « Die Benutzung des Luft- und Dampfdrucks zur Extraction organischer Substanzen » (Volume 105, No. XLIX., p. 176–183 de 1847), une autre de ses inventions comporte aussi ce qui ressemble à un porte-filtre rudimentaire (... mais fixe) et se rapproche en ce sens de la machine à expresso.
Presse à vapeur de Römershausen (source: Polytechnisches Journal)
Dans cette invention, le café est placé dans un récipient circulaire entre une grille et une sorte de papier filtrant, situé à la sortie de l’appareil (et non entre deux réservoirs comme dans les autres cafetières). L’eau était mise à bouillir avec cette sortie orientée vers le haut, mais dès que la vapeur commençait à être produite, l’appareil était retourné pour que cette vapeur force le passage de l’eau au travers de la mouture.
Il est sûr que, par rapport à l'expresso, l’eau qui passait était plus chaude et la pression d’extraction n’était que faiblement supérieure à 1 ou 2 bars... mais c’est quand même rudement avant-gardiste pour l’époque. Il faudra plus d’un demi-siècle pour retrouver un appareil se rapprochant d’aussi près de la machine à expresso.
Presse à air de Römershausen (source: Polytechnisches Journal)
Son autre invention (je veux parler de la « Luftpresse zu kalten wässerigen und geistigen Extracten », un extracteur de liqueur à usage domestique) était tout aussi avant-gardiste et on peut imaginer qu’utilisée avec de la mouture fine et une eau frémissante, elle a pu produire un élixir qui se rapprochait du ristretto. Cet extracteur fonctionne en faisant le vide dans un récipient à l’aide d’une pompe manuelle et utilise cette succion pour extraire des essences de substances végétales en solution. Les extraits passent à travers un filtre avant de tomber dans le récipient A. Dans le cas particulier du café, il était vanté comme pouvant produire un extrait de café pour le voyage, auquel il suffisait de rajouter de l’eau chaude pour faire un « vrai » café.
À suivre...
Retour au menu
* Entre 1806 et 1854, plusieurs savants se sont penchés sur le café et la meilleure façon de l’extraire:
> Alexis Cadet-de-Veaux, « Dissertation sur le Café », 1806
> Charles-Louis Cadet (neveu du précédent), « Mémoire sur le Café », 1806
> M. Parmentier, « Extrait d’un mémoire manuscrit de M. Payssé, sur le café » et « Second Extrait d’un mémoire manuscrit de M. Payssé, sur le café », 1806
> Armand Séguin, « Mémoire sur le Café », 1814
> M. Payen « Mémoire sur le Café », 1849
> A. Penilleau, « Étude sur le café au point de vue historique, physiologique, hygiénique et alimentaire », 1864
Il y aussi toute une littérature scientifique sur la chicorée, « café de substitution », mise en avant lors du blocus continental imposé par Napoléon.
** L’essor des techniques de préparation du café a lui aussi été influencé d’abord par la taxation des denrées coloniales à partir de 1806, puis par le blocus continental jusqu’en 1814 où les importations de café ont été carrément stoppées. Ce qui peut expliquer le vide dans les inventions entre 1806 et 1815, et leur accélération par la suite.
+ Source: « Archives INPI », avec leur aimable autorisation.
Le rythme va maintenant s’accélérer quelque peu, car on rentre dans une période extrêmement prolifique dans l’invention des cafetières, et la majorité de l’action se passe en France.
Sous l’impulsion d’institutions comme l’Académie des Sciences*, les Arts et Métiers et la naissance des Brevets d'invention, mais aussi grâce à l’influence de certains gourmets (comme Grimod de la Reynière et son « Almanach des Gourmands ») ou d'hommes d'influence, figures marquantes de ce début de siècle à la recherche de la meilleure et/ou de la plus économique technique d’extraction... la technologie va rapidement évoluer.
Entre 1806 et 1855 (soit entre Hadrot, avec sa Dubelloy revisitée, et Loysel, avec son monstre percolateur présenté à l’exposition universelle), pas moins de 178 Brevets ou demande de perfectionnement de cafetières ont été délivrés en France.
Je vais vous épargner le passage en revue de chacune de ces inventions (enfin surtout sur la fin), et tenter de mettre en relief quelques évolutions marquantes ou loufoques de cette épopée, « de [a-] à [-zel] » (de Hadrot à Loysel).
De [a-] à [-zel], première partie (1806-1824) : la cafetière « italienne »... vraiment ?
Bon, tout le monde sait que c’est un français (Denis Papin) qui a inventé la machine à vapeur dès 1690 et que l’idée a été récupérée plus tard par un anglais qui se l’est appropriée... il en va à peu près de même pour l’utilisation de la vapeur dans la préparation du café.
>1806<
Le siècle commence doucement avec Hadrot suivit de Sené, tous deux ferblantiers à Paris, qui présentent en 1806 et 1815,** deux modèles de cafetières qui ne sont autres que deux Dubelloy revisitées.
Cafetière de Hadrot (source: « Archives INPI »)
- La première, la « cafetière filtrante sans ébullition et à bain d'air » de HADROT (Ferblantier au 43, rue Saint-Sauveur) apporte une légère amélioration à la Dubelloy au sens où les matériaux choisis sont plus résistant à la corrosion que le fer blanc alors utilisé (en le remplaçant par de l’étain durci, dit « étain de Bismute ») et que la cafetière comporte une double paroi (le fameux « bain d’air ») pour une meilleure conservation de la chaleur.
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>1815<
- La « cafetière propre à faire du café sans ébullition, dite cafetière-Sené » de Jean-Baptiste-Louis-Marie SENÉ (Ferblantier au 31 et 32, passage du Saumon... tiens ) est une sorte de Dubelloy en kit, constituée de 5 morceaux et trois parties (la bouilloire, le filtre et la cafetière tête à l’envers) maintenues ensemble par des fermetures à baïonnettes et des attaches de cuivre, afin (si j’ai bien compris, car ce n’est pas clairement explicité) de retourner l’ensemble lorsque l’eau est chaude et récupérer ainsi le café filtré dans la cafetière.
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>1819<
C’est le même principe qui est proposé et amélioré quelques années plus tard (en 1819 et 1820) par Jean-Louis MORIZE (Ferblantier Lampiste au 10, rue Boucher à Paris).
Cafetière Morize (source: Polytechnisches Journal)
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Ce type de cafetière, de par sa simplicité, semble avoir eu un certain succès, car on en retrouve de conception similaire jusqu’au XXe siècle, comme ici sur un tableau d’Henri Matisse de la fin du XIXe :
« Fruits et Cafetière » d'Henri Matisse, vers 1898
>1819<
Cafetière Laurens (source: « Description des machines et procédés spécifiés dans les brevets d'invention », 1820)
Les choses deviennent plus intéressantes avec l’invention proposée par Joseph-Henry-Marie LAURENS (Ferblantier au 31, passage du Saumon... décidément ) et son « procédé de fabrication d'une cafetière à filtrer sans évaporation » daté de 1819. C’est en effet le premier à utiliser la pression de la vapeur pour faire monter l’eau bouillante dans la partie supérieure à l’aide d’un tuyau. L’appareil proposé est assez sophistiqué, mais fonctionne toujours en filtration douce : l’eau montante est déversée chaude sur le café contenu entre deux grilles. Le café passé se retrouve dans un deuxième réservoir et la fin du passage de l’eau de la partie basse à la partie haute est signalée par un sifflet.
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La transition vers le principe de la cafetière dite « italienne » (de type Bialetti ou Bacchi) où la pression force le passage de l’eau à travers la mouture se fait graduellement :
>1820<
En 1820, Jean-Ambroise GAUDET (fabricant ferblantier au 19, rue de la Croix, Paris) propose un « procédé de fabrication d'une cafetière à double filtre, propre à faire le café avec ébullition, sans évaporation » qui est une sorte d’hybride entre la Dubelloy et la cafetière italienne dite « Cafetière à Cilindre » (sic) :
un tube en forme d’entonnoir dirige bien la montée d’eau à travers la mouture, mais il y a retour du café dans le réservoir inférieur (et possibilité de plusieurs passages, ce qui est présenté comme un avantage). Le café est contenu dans une boîte avec des grilles, et une toile est utilisée pour éviter le passage du marc dans la café.
Cafetière Gaudet (source: « Nouveau manuel complet du ferblantier et du lampiste »)
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>1824<
Cafetière de Caseneuve (source: « Archives INPI »)
Cette conception est similaire à celle proposée par André CASENEUVE (Ferblantier au 6, place de Vannes, marché neuf Saint-Martin, Paris) en 1824, sauf que dans son cas le café est récupéré dans un deuxième contenant sur le pourtour de la bouilloire qui est munie d’un système de fermeture hermétique et peut être servi par un robinet (« cafetière dite économique, conservant sans évaporation le principe aromatique du café »).
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>1822<
Les ferblantiers et lampistes ont tenu le haut du pavé jusqu'à présent, n'est-ce pas un peu louche ? Que faisaient donc les ingénieurs de l'époque ?
Pour trouver le véritable inventeur du principe de la cafetière italienne, il faut partir en Angleterre où Louis Bernard RABAUT (de Skinner Street, Snowhill, Londres) a déposé un brevet en 1822 intitulé « Improved Apparatus for the preparation of Coffee or Tea ».
Cafetière de Rabaut (source: The Repertory of Arts, Manufactures and Agriculture, 1822)
Ce qu’on a ici est la toute première cafetière de type « Biacchi » où l’eau passe sur la mouture par la pression de la bouilloire et coule par un tube vers l’extérieur.
L’honneur est sauf puisque Rabaut est un français expatrié... Mais puisqu’on est à la recherche de l’inventeur de l’application de la vapeur au passage de l’eau sur de la poudre de café, on ne peut que s’incliner devant un allemand... et pour cela faire un nouveau saut en arrière.
Le personnage de l'ombre
>1818<
Elard RÖMERSHAUSEN (non, pas Robert Hossein ) est un théologien, philosophe, prédicateur et inventeur allemand du début du XIXe, ayant à son actif plusieurs réalisations tournant autour de l'utilisation de la vapeur.
Il décrit dans son ouvrage « Dr. Romershausen's Luftpresse eine in den Königlich-Preußischen Staaten patentirte Maschine zum Extrahiren, Filtriren und Destilliren », publié en 1818, la toute première machine à café se servant de la poussée de la vapeur pour faire passer de l’eau bouillante sur de la mouture. Son invention est rapportée dans deux articles de 1821 du Polytechnisches Journal (Volume 4, No. LI, p. 420–425 et Volume 5, No. LXIV, p. 385–415) et ressemble étrangement à l'invention déposée l'année suivante en Grande-Bretagne. Selon toute vraisemblance, Rabaut avait lut cet article avant de déposer son invention:
Presse à vapeur de Römershausen (source: Polytechnisches Journal)
Dans le deuxième article de 1821 (plus général), est aussi présenté un modèle plus sécuritaire (car il évite aux bouilloire sans surveillance d'exploser) qui inclut un piston actionné par une manivelle. Je n'ai pas réussi à comprendre si cette modification était aussi une idée de Römershausen ou celle d'un autre (le Professor Marechaux, auteur de l'article ?) mais à bien y regarder, c'est une machine à levier avant l'heure avec traversée de la mouture de bas en haut:
Presse à vapeur de Römershausen (source: Polytechnisches Journal)
Sont aussi proposés des modèles plus compacts, propre à la préparation ménagère du café (les deux de droite utilisant une presse à vapeur, les deux de gauche une presse ou pompe à air):
Presse compactes à air et à vapeur de Römershausen (source: Polytechnisches Journal)
Tel que cela est rapporté dans un autre article plus tardif du Polytechnisches Journal « Die Benutzung des Luft- und Dampfdrucks zur Extraction organischer Substanzen » (Volume 105, No. XLIX., p. 176–183 de 1847), une autre de ses inventions comporte aussi ce qui ressemble à un porte-filtre rudimentaire (... mais fixe) et se rapproche en ce sens de la machine à expresso.
Presse à vapeur de Römershausen (source: Polytechnisches Journal)
Dans cette invention, le café est placé dans un récipient circulaire entre une grille et une sorte de papier filtrant, situé à la sortie de l’appareil (et non entre deux réservoirs comme dans les autres cafetières). L’eau était mise à bouillir avec cette sortie orientée vers le haut, mais dès que la vapeur commençait à être produite, l’appareil était retourné pour que cette vapeur force le passage de l’eau au travers de la mouture.
Il est sûr que, par rapport à l'expresso, l’eau qui passait était plus chaude et la pression d’extraction n’était que faiblement supérieure à 1 ou 2 bars... mais c’est quand même rudement avant-gardiste pour l’époque. Il faudra plus d’un demi-siècle pour retrouver un appareil se rapprochant d’aussi près de la machine à expresso.
Presse à air de Römershausen (source: Polytechnisches Journal)
Son autre invention (je veux parler de la « Luftpresse zu kalten wässerigen und geistigen Extracten », un extracteur de liqueur à usage domestique) était tout aussi avant-gardiste et on peut imaginer qu’utilisée avec de la mouture fine et une eau frémissante, elle a pu produire un élixir qui se rapprochait du ristretto. Cet extracteur fonctionne en faisant le vide dans un récipient à l’aide d’une pompe manuelle et utilise cette succion pour extraire des essences de substances végétales en solution. Les extraits passent à travers un filtre avant de tomber dans le récipient A. Dans le cas particulier du café, il était vanté comme pouvant produire un extrait de café pour le voyage, auquel il suffisait de rajouter de l’eau chaude pour faire un « vrai » café.
À suivre...
Retour au menu
* Entre 1806 et 1854, plusieurs savants se sont penchés sur le café et la meilleure façon de l’extraire:
> Alexis Cadet-de-Veaux, « Dissertation sur le Café », 1806
> Charles-Louis Cadet (neveu du précédent), « Mémoire sur le Café », 1806
> M. Parmentier, « Extrait d’un mémoire manuscrit de M. Payssé, sur le café » et « Second Extrait d’un mémoire manuscrit de M. Payssé, sur le café », 1806
> Armand Séguin, « Mémoire sur le Café », 1814
> M. Payen « Mémoire sur le Café », 1849
> A. Penilleau, « Étude sur le café au point de vue historique, physiologique, hygiénique et alimentaire », 1864
Il y aussi toute une littérature scientifique sur la chicorée, « café de substitution », mise en avant lors du blocus continental imposé par Napoléon.
** L’essor des techniques de préparation du café a lui aussi été influencé d’abord par la taxation des denrées coloniales à partir de 1806, puis par le blocus continental jusqu’en 1814 où les importations de café ont été carrément stoppées. Ce qui peut expliquer le vide dans les inventions entre 1806 et 1815, et leur accélération par la suite.
+ Source: « Archives INPI », avec leur aimable autorisation.
Dernière édition par Pootoogoo le Jeu 21 Nov 2013, 03:17, édité 5 fois
_________________
« Le savoir est le seul bien qui augmente quand on le partage »
« Ce n'est qu'en essayant continuellement que l'on finit par réussir.
Autrement dit : plus ça rate, plus on a de chances que ça marche. »
pootoogoo- Admin
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zeb- Admin
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Re: Fuir de la cafetière, les machines «Made in France»
je souscris aux propros de Pascal et de déjà bien d'autres, merci pootoogoo !
_didier_- Date d'inscription : 26/11/2011
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Re: Fuir de la cafetière, les machines «Made in France»
Pootoogoo,
Quel beau voyage dans le temps et on apprend grâce à toi plein de chose
Encore merci pour ton travail de recherche
J'ai hâte de connaitre la suite
ciao
hbf11
Quel beau voyage dans le temps et on apprend grâce à toi plein de chose
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hbf11- Date d'inscription : 04/04/2011
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Re: Fuir de la cafetière, les machines «Made in France»
Bon, là, j'ai été carrément plagié sur Café(o)blogue... va falloir faire une enquête :P.
_________________
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pootoogoo- Admin
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Re: Fuir de la cafetière, les machines «Made in France»
Attention au duplicate content il faut absolument que la page de ton article cite l'adresse de celui ci ici sinon le blog va s' effondrer dans les résultats des moteurs de recherche. Google déteste ça et le fait payer assez vite.
zeb- Admin
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Re: Fuir de la cafetière, les machines «Made in France»
J'ai reçu hier les deux ouvrages de référence que j'avais commandés après être rentré bredouille de différentes bibliothèques, soit :
"Coffee makers : 300 years of art & design", de Edward et Joan Bramah, 1989; et "Coffee floats, tea sinks : through history and technology to a complete understanding", de Ian Bersten, 1993.
Deux magnifiques ouvrages, parfaitement dans la ligne des recherches que j'ai entreprises (et complétant l'ouvrage de William Harrison Ukers, "All About Coffee", de 1922, accessible en ligne).
J'ai une préférence pour le deuxième (même s'il est basé en grande partie sur le premier) car la recherche est beaucoup plus fouillée, Bersten ayant épluché sur papier beaucoup des brevets que je suis en train de consulter à mon tour (j'ai eu le plaisir de trouver dans son ouvrage des dessins originaux en couleur alors qu'en ligne ils sont en noir et blanc).
Je ne suis pas peu fier de constater que je n'ai pas raconté trop de conneries jusqu'ici . Plusieurs de leurs conclusions recoupent ce que j'ai trouvé, j'ai même relevé plusieurs erreurs factuelles dans les bouquins (puisque c'est ce que Bersten reproche à Bramah, je peux bien lui rendre la monnaie de sa pièce ). Aucun mot sur Descroizilles, le neveu de De Belloy (les deux auteurs rejettent tout de même l'idée que l'archevêque soit l'inventeur) ou Charnacé. L'appareil de Rouch/Henrion n'est pas très bien décrit à mon sens, de même que celui de Laurens... ce qui fait de mon intervention un petit peu plus qu'une simple traduction, ouf !
Bien sûr, il y a aussi quelques nouveaux éléments (en particulier sur certains inventeurs anglais) que je vais m'empresser de vérifier et que je rajouterai aux articles si je les juge pertinents (les anglo-saxons ayant tendance à tirer la couverture royale à eux).
La suite est encore en préparation... c'est une infusion lente, pour en tirer toute l'essence.
"Coffee makers : 300 years of art & design", de Edward et Joan Bramah, 1989; et "Coffee floats, tea sinks : through history and technology to a complete understanding", de Ian Bersten, 1993.
Deux magnifiques ouvrages, parfaitement dans la ligne des recherches que j'ai entreprises (et complétant l'ouvrage de William Harrison Ukers, "All About Coffee", de 1922, accessible en ligne).
J'ai une préférence pour le deuxième (même s'il est basé en grande partie sur le premier) car la recherche est beaucoup plus fouillée, Bersten ayant épluché sur papier beaucoup des brevets que je suis en train de consulter à mon tour (j'ai eu le plaisir de trouver dans son ouvrage des dessins originaux en couleur alors qu'en ligne ils sont en noir et blanc).
Je ne suis pas peu fier de constater que je n'ai pas raconté trop de conneries jusqu'ici . Plusieurs de leurs conclusions recoupent ce que j'ai trouvé, j'ai même relevé plusieurs erreurs factuelles dans les bouquins (puisque c'est ce que Bersten reproche à Bramah, je peux bien lui rendre la monnaie de sa pièce ). Aucun mot sur Descroizilles, le neveu de De Belloy (les deux auteurs rejettent tout de même l'idée que l'archevêque soit l'inventeur) ou Charnacé. L'appareil de Rouch/Henrion n'est pas très bien décrit à mon sens, de même que celui de Laurens... ce qui fait de mon intervention un petit peu plus qu'une simple traduction, ouf !
Bien sûr, il y a aussi quelques nouveaux éléments (en particulier sur certains inventeurs anglais) que je vais m'empresser de vérifier et que je rajouterai aux articles si je les juge pertinents (les anglo-saxons ayant tendance à tirer la couverture royale à eux).
La suite est encore en préparation... c'est une infusion lente, pour en tirer toute l'essence.
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« Ce n'est qu'en essayant continuellement que l'on finit par réussir.
Autrement dit : plus ça rate, plus on a de chances que ça marche. »
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Re: Fuir de la cafetière, les machines «Made in France»
Pour ceux que ça intéresse, j'ai mis un peu d'ordre dans l'Episode 3 et rajouté des schémas de Römershaussen à qui le monde de l'expresso doit décidément beaucoup.
Ceux qui sont calés en allemand pourront peut-être se rapporter aux textes originaux et éclaircir certains points...
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Dernière édition par Pootoogoo le Dim 17 Nov 2013, 16:46, édité 1 fois
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Re: Fuir de la cafetière, les machines «Made in France»
De [a-] à [-zel], deuxième partie (1827-1842) : Un siphon font, font... de petites cafetières.
La cafetière à siphon, maintenant connue sous le nom de « Cona » a reçu toute sorte d’appellations étranges à ses débuts : « Atmodèpe-infuseur », « Café-facteur », Cafetière « Myrosostique » ou « atmo-pneumatique ».
Elle est généralement constituée de deux globes superposés, reliés par un tube, et fonctionne en deux temps. Elle utilise d’abord la poussée de la vapeur pour évacuer par un tube ascensionnel de l’eau portée à ébullition dans une enceinte fermée. L’infusion s’opère alors dans la partie supérieure où se trouve le café en poudre. Lorsque la source de chaleur est éteinte, la pression de vapeur retombe, ce qui crée un effet de succion faisant revenir le café infusé dans le bas de la cafetière, le marc étant retenu par un filtre.
Si l’on se contente des brevets, on pourrait croire une nouvelle fois que cette invention est française et date de 1835. Cela vient non seulement des différentes dates de mise en place des Brevets suivant les pays et possiblement de la disparation d’archives, mais aussi, comme dans le cas de Descroizilles ou Charnacé, de la discrétion et de l'humilité de son inventeur.
Son nom apparaît dans l’ouvrage de Bersten mais il m’a fallu faire une grande boucle dans le temps, de 1835 à 1842 pour en retrouver la preuve dans un ouvrage insolite de 1827. Si cette cafetière ressemble à un instrument de laboratoire, ce n’est pas le fruit du hasard... sa description se trouve dans une revue de physique et de mathématique.
Commençons donc par les brevets...
>1835<
+
Sous le nom peu accrocheur de « nouvelle cafetière à vapeur », Louis-François-Florimond BOULANGER (résidant à Paris, au 43, rue du Faubourg-Saint-Denis), architecte né à Douai en 1807, dépose le tout premier brevet français de cafetière à siphon. Sa description est assez précise, mais peu enflammée par rapport à la nouveauté que semble représenter l’invention dans le monde des cafetières.
Cafetière de Boulanger, 1835 (source: « Archives INPI »)
On peut se demander comment un socialiste en herbe, étudiant de l’école des Beaux-Arts occupé à dessiner son « Palais pour l'exposition d'objets d'art et des produits de l'industrie » qui lui vaudra le grand prix de Rome en 1836 a pu avoir cet éclair de génie. Peut-être le sujet même de son étude ? (voir plus loin)
>1836<
+
Son compatriote Pierre-Marie-Joseph BEUNAT (de Thann dans le Haut-Rhin), chevalier de la Légion d’honneur, avait bien plus d’éloquence. Il vante les mérites de son « appareil propre à faire les infusions, nommé admopède infuseur », appareil quasi identique à celui de Boulanger, en ces mots : « L’ajustement de l’appareil est facile, son apparence est très agréable, l’opération qui ne l’est pas moins en elle-même est de plus une puissante cause de distraction pour un malade ou pour une société » (sic).
Son brevet couvre très large : en plus de la possibilité de faire du café ou du thé, est énoncé la possibilité de faire toute boisson qui s’obtient par infusion de matières végétales, et même la possibilité de s’en servir pour la préparation de chocolat « mais à celui de bonne qualité seulement ». Elle permettrait aussi... de « cuire sur table, en présence des convives, divers comestibles tels que des œufs en coque, des asperges, etc. » ... pratique !
Cafetière de Beunat, 1836 (source: « Archives INPI »)
>1837<
+
Après une première demande de brevet abandonnée pour une « cafetière éolipyle perfectionnée », Jean-Louis CAPETTE, fabricant de bronzes à Paris (au 43, rue du Temple), obtient peu de temps après un brevet pour une « Cafetière Myrosostique », appareil identique à celui de Boulanger, mais qui a la particularité d’avoir un chauffage du réservoir par le côté.
Cafetière Myrosostique de Capette, 1837 (source: « Archives INPI »)
Madame Jeanne RICHARD, née PIERRET (55, rue du Faubourg-Saint-Martin à Paris) apparaît souvent dans la liste des inventeurs associés à la cafetière à siphon (Bramah p. 81, Bersten p. 84).
+
Son brevet est un brevet d’importation qui concerne une « Cafetière physique diaphane avec concentration de toute la vapeur » appelée Atmodès. Le fait est que son brevet confirme la piste de l’inventeur et explique pourquoi Beunat, habitant en Alsace, a eu vent de cette cafetière. Il y est dit que « le système de l’Atmodès est fort simple et il est employé depuis un grand nombre d’années aux cafetières en Allemagne » (indice ).
Cafetière Atmodès importée par Richard, 1837 (source: « Archives INPI »)
Le modèle présenté est très proche d’une cafetière à siphon... à ceci près qu’il est complètement fermé hermétiquement et est muni d’une soupape de sécurité sur le globe du haut. Cette modification, qui n’est pas forcément heureuse, semble venir de Madame Richard elle-même, car c’est ce qu’elle rapporte plus tard :
« Un de mes perfectionnements à la cafetière que j’importe en France (voir le modèle que j’ai déposé le 21 août dernier) consiste dans l’isolement total du liquide de l’air atmosphérique. »
Cette modification est rapidement abandonnée et, quelques mois plus tard seulement, dans sa demande de perfectionnement, elle revient vers un principe d’infusion sans ébullition plus « classique ». Le tube est allongé jusqu’au sommet de la boule de cristal et le bouchon est muni d’un autre tube qui comprend un robinet, afin contrôler la descente de l’infusion.
Elle ajoute aussi à cette demande un autre type de cafetière de son invention et un modèle d’un certain Van s. Loeff de Berlin (qui est peut-être l’exportateur de l’Atmodès, mais ce n’est pas dit clairement). Cette dernière est une cafetière à recirculation (et non à siphon) d’une forme particulière. Celle de son cru fonctionne sur le principe de la cafetière de Laurens, dans une forme un peu plus compacte (l’infusion étant récupérée sur le pourtour).
Cafetière de Van s. Loeff, importée, et Nouvelle cafetière de Richard, 1837 (source: « Archives INPI »)
Mais revenons à nos siphons...
Ce type de cafetière a certainement eu un grand succès à cette époque, car les inventeurs se succèdent et rivalisent d’ardeur pour lui associer leurs noms. Robinet au milieu, en bas, système d’auto-extinction de la lampe, en métal en cristal, avec une couronne sur la tête... les brevets sont très nombreux : plus d’une trentaine, soit les deux tiers des brevets de cafetières jusqu’en 1844.
À travers ces brevets, on peut signaler :
>1839<
James VARDY et l’ingénieur Moritz PLATOW et leur brevet de 1839, qui n’a d’autre mérite que d’être le premier déposé en Angleterre pour ce type de cafetière et de n’avoir, sur ce coup, que 4 ans de retard (ça a son importance pour les Anglo-saxons, grands laissés pour compte de cette histoire de cafetière...).
Cafetière de Vardy et Platow, 1839 (source: Polytechnisches Journal)
>1841<
En 1841, madame Marie-Fanny-Ameline VASSIEUX, née MASSOT de Lyon (au 37, rue de l'Arbre-Sec), obtient un brevet pour des « perfectionnements apportés à la cafetière en cristal dite café-facteur ». Elle lui donne un bras qui maintient maintenant deux globes par le milieu et pose sa marque en la coiffant d’une couronne.
Cafetière café-facteur de Vassieux, 1841 (source: « Archives INPI »)
+
Le terme café-facteur était certainement un clin d’œil au populaire caléfacteur (ancêtre de la cocotte-minute) de Pierre-Alexandre Lemare (qui avait aussi inventé une cafetière dans les années 1820). Madame Vassieux l'avait baptisée cafetière Lyonnaise et y allait de nombreuses publicités dans les journaux, envoyant même un membre de sa famille en faire la promotion en Hollande, au risque de le voir condamné pour insoumission par un conseil de guerre...
Echo de la fabrique, 1842. La Presse, 1842.
La Presse, 10 décembre 1845
Faut dire que la concurrence était rude, tout s'est déjà joué à quelques mois près pour cette forme à deux ballons avec Louis-Octave MALEPEYRE (fabricant de cafetières à Paris au 14, rue Saint-Claude): son brevet intitulé « perfectionnements apportés à la cafetière dite hydropneumatique » a été déposé avant, mais obtenu après.
En 1842 arrivaient aussi les publicités pour la "cafetière de Smith" (dont la lecture est un pur délice), brevet déposé en France par François-Auguste GOSSE, premier à avoir utilisé l'appellation « Cafetière à Siphon » (titre du brevet de 1842). Elle serait de John-Willam (sic) Smith, mais Gosse dans son brevet dit aussi en être l'inventeur . Un autre article de presse de juillet 1842 parle d'importation (par la maison Gosse et Pochet-Deroche), mais je n'ai pas trouvé trace de ce Smith dans les brevets anglais (qui, s'il existe, pourrait être antérieur à ceux de Vassieux et Malpeyre, et ferait sauter de joie les Anglais )...
Cafetière Malepeyre, 1841 (source: « Archives INPI »)
La Presse, Septembre 1842 (Cafetière Smith/Gosse)
+
>1842<
Pour finir, en 1842, Jean-Baptiste-Auguste FORTANT (ferblantier lampiste au 21, rue du Petit-Thouars, à Paris) propose un système ingénieux d’auto-extinction de la lampe à l’aide d’un flotteur placé dans le globe supérieur.
Cafetière hydropneumatiques de Fortant (source: « Archives INPI »)
+
Et maintenant, qui est donc cet inventeur à l’origine de la cafetière à siphon
Toujours en 1842 (le 7 avril), M. Herpin fait un rapport au nom du comité des arts économiques de la Société d’Encouragement pour l’Industrie nationale, sur une cafetière « atmo-pneumatique » que leur a apporté M. Soleil, opticien au 35, rue de l’Odéon (Bulletin de la Société d'Encouragement pour l'Industrie Nationale, N° CCCCXLII, p.124). Suivent une description de ladite cafetière et la planche correspondante (N° CCCCXLVIII, Oct. 1841, p. 414 et p. 842).
Cafetière de Soleil, 1836/1842 (source: Polytechnisches Journal)
C'est là qu'on arrive au nœud de l'histoire.
On apprend dans ce rapport qu’ils ont pris leur temps au comité... pour « soumettre la cafetière à une épreuve décisive et suffisamment prolongée », ainsi va la science.
La cafetière leur a été confiée vers 1836 et a été simplement modifiée légèrement par M. Soleil, son but étant de populariser l’invention d’un physicien distingué, professeur à Darmstadt, appelé « Noremberg » (deuxième indice ).
Le M. Soleil en question n'est autre que Jean-Baptiste François Soleil (1798-1878), ingénieur-opticien français tout à fait fascinant, dont l’abbé François Moigno fait l’éloge dans la préface de son ouvrage de 1869 intitulé « Saccharimétrie optique, chimique et mélassimétrique ». Autodidacte, Soleil a acquis une telle connaissance en optique qu’il était connu des grands physiciens pionniers de l'optique moderne à l'époque (Babinet, Fresnel, Arago, Silbermann). Tous, doivent une part de leur renommée à ses talents de concepteur d’appareils optiques.
Très tôt, s’est trouvé sur son chemin Johann Gottlieb Christian NÖRRENBERG (1787-1862), physicien allemand, autodidacte lui aussi, venu parfaire sa formation à Paris de 1829 à 1832. Personnage effacé et brillant, il y vivait modestement: il est raconté qu’à l’époque il pouvait vivre des mois en se limitant à du café, du lait, du sucre et du pain. Il réservait son argent pour de rares sorties à l'opéra, des pâtisseries... mais surtout pour des pièces d'optique. Il rencontre Soleil avec qui il se lie d'amitié et à qui il enseigne son savoir en physique... autour de quelques cafés, j'imagine.
Johann Gottlieb Christian NÖRRENBERG (1787-1862)
Avant de venir à Paris, il était un apprécié professeur de mathématique, de physique et de chimie à l’école militaire de Darmstadt (« Die Hof-und Universitätsmechaniker in Württemberg im frühen 19. Jahrhundert », Andor Trierenberg, 2013, p.465). C’est dans le cadre de ses cours qu’il a mis au point la cafetière à siphon, tel que cela est raconté dans un article de 1827 intitulé « Beschreibung einer Kaffehmaschine » (Zeitschrift f. Physik u. Mathematik, Bd. 3, S. 269-271, 1927).
Cafetière de Nörrenberg, 1827 (source: Zeitschrift f. Physik u. Mathematik)
La cafetière et son fonctionnement sont décrits en détail dans l'article scientifique, où il est aussi mentionné que sa conception et son utilisation sont tellement simples qu’elle a rapidement été adoptée par nombre de ses amis et de ses élèves. Il n'a tout simplement jamais eu en tête de breveter sa cafetière, préférant en expliquer le principe et partager son invention.
À noter aussi qu'à la fin de l'article, la montée et la descente du liquide dans le tube ascensionnel est comparée à la circulation sanguine d’un poisson observée au microscope (ce qui en fait sans aucun doute le premier 'coffee geek' de l’histoire ).
L’ironie du sort, c’est que l’appareil de Soleil est mentionné dans le Polytechnisches Journal (« Soleil's atmopneumatische Kaffeemaschine », Volume 84, Nr. L., p. 268–269 de 1842), journal féru des innovations reliées aux machines à café, mais sans aucune mention de Nörrenberg. :!:Il est aussi étonnant que le journal soit passé à côté de son article scientifique lors de sa publication...
Rentré en Allemagne, Nörrenberg deviendra professeur à l’Université de Tübingen et restera en contact étroit avec Soleil. Il a laissé son nom dans l’histoire des sciences pour avoir mis au point un instrument appelé le « polariscope » et pour être l’auteur du premier daguerréotype (ancêtre direct de la photographie) d'Allemagne, pris seulement deux semaines après le dépôt de l’invention en France (1839). C’est certainement son fidèle ami Soleil qui lui avait fourni l’appareil, lui qui a publié un livre sur le sujet dès 1840 (« Guide de l'amateur de photographie, ou Exposé de la marche à suivre dans l'emploi du daguerréotype et des papiers photographiques »).
Maintenant, pour ce qui est de Boulanger, il n'est pas impossible que sa recherche thématique autour du "Palais pour l'exposition d'objets d'art et des produits de l'industrie" (son projet d'architecture) l'ait mené au dépôt des Arts et Métiers où a séjourné un certain temps la cafetière inventée par Nörrenberg (vous voyez où je veux en venir ). Ce qui pourrait transformer son éclair de génie en coup de Soleil...
À suivre...
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+ Source: « Archives INPI », avec leur aimable autorisation.
Dernière édition par Pootoogoo le Dim 24 Nov 2013, 03:04, édité 7 fois
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Re: Fuir de la cafetière, les machines «Made in France»
je me réservais un moment de tranquillité pour profiter pleinement de l'écriture..
formidable pootoo tout simplement formidable
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rotchitos- Date d'inscription : 05/12/2009
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Re: Fuir de la cafetière, les machines «Made in France»
Ce genre de fil de discussion a plutôt tendance à inspirer un respectueux silence, cela peut être pesant pour son auteur, mais Pootoogoo ! Pratiquement 1900 vues aujourd'hui à moins d'un mois de publication c'est un sacré indicateur
Bravo et merci encore une fois !
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zeb- Admin
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Re: Fuir de la cafetière, les machines «Made in France»
C'est vrai Zeb, mais on commence à manquer de superlatifs
Super boulot Pootoo
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Flynn- Prof'spresseur
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Re: Fuir de la cafetière, les machines «Made in France»
Même répétés, des encouragements font toujours plaisir... et j'en ai encore besoin pour aller jusqu'au bout !
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pootoogoo- Admin
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Re: Fuir de la cafetière, les machines «Made in France»
Pootoogoo,
Chapeau bas et merci pour cette remontée dans le temps
J'ai appris l'histoire de l'ancêtre de la machine à siphon dont se servait ma mère !
Pootoogoo, pour ton travail il va falloir créer une récompense !!!!.
Bon courage pour la suite
Chapeau bas et merci pour cette remontée dans le temps
J'ai appris l'histoire de l'ancêtre de la machine à siphon dont se servait ma mère !
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hbf11- Date d'inscription : 04/04/2011
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Re: Fuir de la cafetière, les machines «Made in France»
Petit ajout d'anecdotes et publicités d'époque autour de la « Cafetière Lyonnaise » (de Vassieux), pour les abonnés seulement .
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pootoogoo- Admin
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Re: Fuir de la cafetière, les machines «Made in France»
Encore une fois quel travail Pootoogoo, c'est un vrai voyage initiatique dans le monde du café passé que tu nous fais vivre... pas beaucoup de chose a rajouter, simplement fantastique ; merci !
Dernière édition par _didier_ le Jeu 21 Nov 2013, 17:44, édité 1 fois
_didier_- Date d'inscription : 26/11/2011
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Re: Fuir de la cafetière, les machines «Made in France»
+1 superbe boulot de recherche
tu auras bientôt assez de matière pour en faire un livre sur l'histoire du café en France, je suis sûr que ça se vendrait comme des petits pains
tu auras bientôt assez de matière pour en faire un livre sur l'histoire du café en France, je suis sûr que ça se vendrait comme des petits pains
r0bin- Date d'inscription : 14/06/2013
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Re: Fuir de la cafetière, les machines «Made in France»
Finalement je me demandais à qui étaient destinées ces nouvelles machines ? Au grand public ? certainement très restreint en ces années et surtout très éclairé pour en avoir connaissance. Peut-on même en parler ainsi, du grand public. (J’avoue avoir une idée de la vie courante de ces années là…mais alors très vagues les idées) ou alors pour certains débits de boissons un peu plus luxueux que les troquets du coin.
Parce que si la destiné était pour le particulier, on pourrait voir ces machines à café comme parmi les premiers petits appareils ménager (à défaut d’électro) à envahir les cuisines d’alors.
On peut voir sur une pub publiée par pootoo (au dessus) qu’en 1843 la société de la cafetière lyonnaise encourageait cet achat pour le nouvel an en guise de cadeau. Pas à noël, puisque le « concept » interviendra quelques dizaine d’années plus tard.
De plus, quel type de café était utilisé et comment était-il torréfié ? Moulu ? Même si j’ai pu voir quelques antiques moulins de cette époque.
Vraiment j’aurais bien aimé me faire servir un café de ce genre, par exemple chez la comtesse tout en feuilletant son album.
Parce que si la destiné était pour le particulier, on pourrait voir ces machines à café comme parmi les premiers petits appareils ménager (à défaut d’électro) à envahir les cuisines d’alors.
On peut voir sur une pub publiée par pootoo (au dessus) qu’en 1843 la société de la cafetière lyonnaise encourageait cet achat pour le nouvel an en guise de cadeau. Pas à noël, puisque le « concept » interviendra quelques dizaine d’années plus tard.
De plus, quel type de café était utilisé et comment était-il torréfié ? Moulu ? Même si j’ai pu voir quelques antiques moulins de cette époque.
Vraiment j’aurais bien aimé me faire servir un café de ce genre, par exemple chez la comtesse tout en feuilletant son album.
rotchitos- Date d'inscription : 05/12/2009
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Re: Fuir de la cafetière, les machines «Made in France»
Faut voir la valeur de l'époque... mais 12,50 à 15 francs la cafetière à Siphon ça parait quand même moins cher qu'une Rocket Giotto Evoluzione V2 (le prix d'abonnement du journal dans lequel apparaît l'annonce est de 48 francs par année).*
Vu le nombre de brevets et la prolifération des ferblantiers à Paris, pas mal de ménages devaient être équipés avec des cafetières de plus en plus évoluées.
Pour le café, je pense qu'il était vendu torréfié... y'aurait un autre post à faire sur l'évolution des appareils de torréfaction, de la poêle au super engin contrôlé par PID. Et un autre sur les moulins... qui s'en charge ?
* Pour donner une idée:«L'inventaire après décès du peintre Jacques Augustin Catherine Pajou rédigé en 1828 donne des indications de salaires annuels : sa cuisinière 350 francs par an, son domestique 500, son jardinier 700. Une médaille en or pesant cent quarante et un gramme quarante-neuf centième est prisée 439 f 50.» (Source: Wikipedia)
Vu le nombre de brevets et la prolifération des ferblantiers à Paris, pas mal de ménages devaient être équipés avec des cafetières de plus en plus évoluées.
Pour le café, je pense qu'il était vendu torréfié... y'aurait un autre post à faire sur l'évolution des appareils de torréfaction, de la poêle au super engin contrôlé par PID. Et un autre sur les moulins... qui s'en charge ?
* Pour donner une idée:«L'inventaire après décès du peintre Jacques Augustin Catherine Pajou rédigé en 1828 donne des indications de salaires annuels : sa cuisinière 350 francs par an, son domestique 500, son jardinier 700. Une médaille en or pesant cent quarante et un gramme quarante-neuf centième est prisée 439 f 50.» (Source: Wikipedia)
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Re: Fuir de la cafetière, les machines «Made in France»
De [a-] à [-zel], troisième partie (1844-1855) : le café « en grand »
Au XIXe le café s’est popularisé de façon considérable en France et les établissements le servant se sont multipliés, inquiétant même le pouvoir qui devait secrètement espérer que tout ce bas monde prenne sa tasse de café à la maison plutôt qu’en parlant politique au café du coin. Mais ce sont plutôt les lois de la nature qui allaient contre la production d’excellent café «en grand». La nécessité de « faire le meilleur, le plus vite possible et de la façon la plus économique » est une équation difficile à résoudre, quel que soit le produit auquel il se rapporte. C’est pourtant la solution à ce problème qui est au cœur des paramètres qui ont participé à la naissance de l’expresso.
Les technologies proposées alors ont bien répondu tant bien que mal au «faire le meilleur de façon économique» mais celles-ci n’étaient jamais rapides… et demandaient aux limonadiers de préparer la boisson à l’avance en la gardant au chaud, ce qui en dégrade les qualités.
- Dans le cas de l’infusion à la Dubelloy, il est possible d’avoir en attente de grandes quantités d’eau chaude mais l’infusion est lente.
- Dans le cas des cafetières à vapeur sur le principe des « cafetières italiennes », l’extraction est rapide mais attendre que l’eau arrive à ébullition est tout aussi long. Vu la qualité des métaux et des soudures à cette époque, laisser l’ébullition en attente de l’extraction dans une chaudière fermée, exposait à des risques d’explosion non négligeables.
Pour la troisième méthode d’extraction (les cafetières à siphon), le café était bien préparé (soit-disant) « à la minute » mais seulement « sur table », pour quelques tasses. Attendre l’ébullition était peut-être plus distrayant mais tout de même assez long (voir la caricature plus bas). De toute façon, il était impossible pour les cafés d’utiliser autant de cafetières que de clients…
Le Tintamare, 05 mars 1852 (source: « Gallica »)
Dans les faits, le développement des petites cafetières domestiques a certainement accéléré l’évolution de la préparation du café en grand, amenant au sein de la population une référence du bon café et rendant les clients plus exigeants. Finit le temps où on pouvait servir (littéralement) n’importe quel jus de chaussette ou faire passer de la chicorée pour du café… en tout cas auprès de certains, la boisson nationale étant quand même toujours le café au lait, et le café frelaté étant assez répandu.
L’Eclipse, 1877 (source: « Gallica »)
Les cafetières de Romershaussen et de Rabaut pouvait produire du café en grand, mais il n’est pas sûr que ces appareils aient été employés dans des établissements servant du café, leur configuration semblait plutôt faite pour un usage extérieur.
>1832<
Le premier à se préoccuper spécifiquement du café en grand dans les brevets français est Joseph-Patrice DU BOURG (résidant à Paris au 5, avenue des Champs-Élysées). « Jusqu’à ce jour, dans aucun pays, le caffé (sic) n’a été confectionné en grand et partout, dans les confections en petit, on a suivi des principes routiniers ». Ainsi débute son brevet de 1832 (octroyé pour dix ans, ce qui est rare à l’époque) intitulé « méthode de préparation en grand du café à la vapeur ». Son brevet ne comporte pas de dessin mais juste une description. L’installation utilise, « dans un laboratoire », un générateur de vapeur, qui pousse de l’eau à travers un appareil contenant le café avec des grilles des deux côtés et une tuile métallique pour retenir la poudre de café. Le café est récupéré dans une chaudière doublée de porcelaine ou de faïence en son intérieur (pour ne pas altérer le goût du café et le tenir au chaud sans qu’il atteigne l'ébullition) et est servi par un robinet. Il est annoncé qu’il est possible de produire une quantité énorme de café en peu de temps : 18 à 20,000 tasses en 15 à 21 min avec 150 kilos de café ou 150,000 tasses en moins de 9h ! Le but affiché est la distribution de café dans tous les quartiers d’une ville, ce qui se faisait encore au début du XXe par des marchand ambulants.
Vendeuse de café à Paris 1810)
Vendeuse de café à Paris vers 1900
Le soucis est un soucis d’économie : « Au moyen de cette invention la tasse de café au lait sucré, première qualité, qui se vend 60 centimes sera livrée au public à 15 centimes. La double tasse caffé Moka (1/4 de litre) sans lait, y compris le sucre rafiné à 13 cent. ½ »
Il en profite pour se plaindre au passage des « gros droits de douane sur les sucres et les caffés », mais conscient que cela pourrait jouer contre lui, il précise dans une note, qu’en considérant les droits perçus, «cette invention et sa propagation augmentera de plusieurs millions les revenus annuels de l’Etat».
+
>1838<
Pierre-Médard GAUDICHON, dans son brevet de 1838 intitulé « moyen propre à faire du café, sans ébullition ni évaporation, et pour obtenir de cette fève tout l’arôme qu’elle contient » présente la toute première machine à «capsule» (c’est le terme employé dans le brevet). Des capsules pour du café en grand ? Enfin, pas n’importe quelle capsule, elle est rechargeable et a une taille imposante. C’est en fait une cafetière Morize (sur le principe de la cafetière dite «napolitaine»), qui se retourne sur un grand vase en porcelaine muni d’un robinet. Dans son «observation essentielle », à la fin du brevet, il précise que « l’appareil pour M. M. les limonadiers est le même sur une plus grande échelle». Il y ajoute aussi un système pour que l’eau repasse sur le marc afin de préparer plus de café (beurk). Je me demande comment ils faisaient pour ne pas s’ébouillanter dans la manœuvre de retournement…
Cafetière de Gaudichon, 1838 (source: « Archives INPI »)
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>1847<
L’appareil proposé par André GIRAUD (distillateur liquoriste à Paris, 43, rue du Faubourg-Poissonnière) en 1847, commence à ressembler franchement aux premières machines à café «Express». Son système dit «condensateur, appareil chimique, pour la préparation du café et du thé», se compose d’une cuve en cuivre de 8 à 9 litres de capacité (pour la «Demie grandeur»), chauffée au bois, qui envoie de l’eau dans deux «porte filtres cylindriques de la profondeur de 15cm et 11 de diamètre à double compartiment armé de trois filtres métalliques» situés de chaque côtés de la chaudière. L’eau poussée à travers ces filtres contenant la poudre de café (ou du thé) passe ensuite par un serpentin pour condenser les vapeurs aromatiques et est récupéré dans deux récipients de cristal gradués, munis de robinets. Ces récipient sont placés dans un vase à bain marie avant le service. Il est spécifié que l’appareil peut produire 50 tasses (d’un côté le thé et de l’autre le café) en 45 à 50 minutes et ne consomme que 4 à 5 centimes de chauffage.
Cafetière de Giraud, 1847 (source: « Archives INPI »)
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>1855<
L’Exposition Universelle
Bâtiment principal de l’Exposition Universelle de Paris, 1855
1855 est l’année de la première exposition universelle française, à Paris. Un imposant bâtiment a été construit près des Champs-Élysées pour l’occasion, qui comprenait une très longue annexe (une verrière de 1.2km le long et 17m de hauteur le long de la Seine) accueillant la Galerie des machines.*
Plan du site de l’Exposition Universelle de Paris, 1855
C’est dans cette annexe que se trouvait le tout nouvel appareil de Loysel, appelé «percolateur hydrostatique».
Percolateur hydrostatique de Loysel dans sa version petit format, 1855
Loysel, de son nom complet Edouard LOYSEL DE LA LANTAIS, né en 1816 à Vannes, était fils et petit-fils d’ingénieur. Lui-même ingénieur, professeur de sciences naturelles et de mécanique il a à son actif de nombreuses publications et plusieurs brevets. Avec son sens développé des affaires, il a commencé par breveter l’un des tous premiers panneaux publicitaire (1839 et 1842 :«mode de publicité dit annonciateur universel»), puis une modification au jeu d’échec (1841 et 1843), sur les traces de son père qui avait inventé un jeu de société. Des produits pour toucher le grand public… tout comme ses nombreux brevets de cafetières.
Le concept de sa première cafetière est développé dans différents brevets. Le premier, de 1843, la décrit comme un «genre de cafetière». Il s’agit d’une cafetière basée sur le principe de la cafetière à siphon mais qui chauffe le lait au bain-marie en même temps que l’eau. Le robinet de sortie est à double conduit, de sorte que le lait et le café sont mélangés pour produire la boisson préférée des français (ou des anglais si le café est remplacé par du thé) directement dans la tasse. Elle apparaît dans des publicités de journaux sous le nom de «cafetière Parisienne».
+
Première cafetière de Loysel, 1843 (source: « Archives INPI »)
La Presse, 30 décembre 1843-12 janvier 1844 (source: « Gallica »)
Chose certaine, Loysel avait la bougeotte : il n’a jamais deux fois la même adresse sur les brevets, sûrement à la recherche de la meilleure occasion d’affaire ou du meilleur coup de publicité. Parti vivre en Angleterre en 1844, il y est naturalisé en 1849 et continue sur sa lancée. Il revient d’abord en 1853 avec une «cafetière Dubelloy perfectionnée» puis... la fameuse idée pour résoudre la quadrature du cercle : utiliser une nouvelle force pour l'extraction du café. Non pas encore une force mécanique mais la gravité ! L’eau amenée en hauteur pas la force de la pression de la vapeur est soumise alors à loi de Pascal: elle peut y rester chaude, en attente de l’extraction, qui se fera à force égale à celle de la vapeur qui l'a amené là-haut. Il suffisait d'y penser...
Le résultat donnait des cafetières aux proportions gigantesque qui n’étaient pas à la portée d’un petit ferblantier, mais typiques de l’aire industrielle naissante.
Percolateur Hydrostatique de Loysel, 1853 (source: « Archives INPI »)
À cette idée lumineuse, Loysel ajoute un coup de marketing grandiose: son «percolateur hydrostatique» est présenté à l’exposition universelle de Paris… exposée et servant des cafés à 5 millions de visiteurs éblouis par l’invention. Dans la revue Cosmos (Tome 7, p.127-135, 1855), il est dit que l'appareil contient 2000 tasses et coûte 6000 francs, une petite fortune pour l'époque. Le café, lui, était servit 20 centimes la tasse.
Fort de son succès, ce percolateur est déplacé dès la fin de l’Exposition Universelle au café Frascati, rue Montmartre où il rencontre aussi un franc succès. Son succès continue ensuite au palais des omnibus, sur la place du Palais Royal (où le percolateur restera jusqu’en 1860). Après avoir fondé « la compagnie générale des Percolateurs de la Seine», il en fera construire d'autres exemplaires dont des plus petits formats et en vendra à travers toute la France.
Établissement du Percolateur, Place du Palais-Royal, 1855
La Presse, 8 et 21 février 1856 (source: « Gallica »)
La Presse, 14 juillet 1856 – Le Figaro, 28 mai 1859 (source: « Gallica »)
À côté de ça...
La routine continue. L’année de l’exposition universelle, Jean Baptiste Antoine COUTANT, négociant à Paris (au 274, rue Saint-Honoré) présente un système de cafetière dite «Cafetière simplifiée» qui n’est autre qu’une Dubelloy avec de l’eau bouillante à disposition en tout temps dans la partie supérieure, prête à passer par l’ouverture d’un robinet. Le café passé se retrouve dans un autre compartiment de la partie inférieure et y est conservé au chaud par l’eau bouillante. Petit ajout ingénieux et simple à la toute première cafetière qui avait encore de beaux jours devant elle, y comprit dans les cafés.
Cafetière de Coutant, 1855 (source: « Archives INPI »)
De même, Jean-Baptiste DAGAND (demeurant au 388 rue Saint Denis à Paris) et son «système d’appareils-cafetières propres à l’infusion du café par aspersion et retour d’eau», n’invente pas l’eau chaude. Même s’il prétend que ses « appareils-cafetières évitent tous les inconvénients des anciennes cafetières du commerce toutes basées du reste sur d’autres principes que les miens. Ces inconvénients sont principalement : un remontage difficile à chaque fois que l’on veut s’en servir, des dangers d’éclats pour les appareils en verre lesquels cassent si souvent, lenteur des opérations». Il ne propose rien d’autre qu’une cafetière de Laurens modernisée (avec indicateurs de niveau, s’il vous plaît). Sa cible sont les siphons, dont l’effet de mode était passé et qui commençaient à avoir mauvaise presse. La publicité, faisant du neuf avec du vieux était en marche… et ça non plus ça n’était pas près de changer.
Cafetière de Dagand, 1855 (source: « Archives INPI »)
L’après Loysel
La Presse, 18 mars 1860 (source: « Gallica »)
Loysel meurt en 1865 et la mauvaise publicité, pour lui aussi, va arriver plus tard. On en retrouve des fragments dans la presse qui rapporte plusieurs accidents et explosions de percolateurs, causées certainement par le vieillissement des appareils.
La Presse, 4 juin 1895 (source: « Gallica »)
Le Figaro, 10 janvier 1901-1e septembre 1910-24 décembre 1913 (source: « Gallica »)
Mais les jalons de l'expresso étaient posés et Loysel a laissé son nom dans l'histoire comme en étant le précurseur. Il est aussi et surtout celui qui a apposé le nom de «percolateur» à ces étranges machines, faisant à la demande du café en grande quantité.
À suivre...
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+ Source: « Archives INPI », avec leur aimable autorisation.
* Traité de « bœuf foulant un parterre de roses » par Mirabeau, l’édifice a été détruit en 1899 pour être remplacé par le petit et le grand palais pour l’Exposition Universelle de 1900.
Au XIXe le café s’est popularisé de façon considérable en France et les établissements le servant se sont multipliés, inquiétant même le pouvoir qui devait secrètement espérer que tout ce bas monde prenne sa tasse de café à la maison plutôt qu’en parlant politique au café du coin. Mais ce sont plutôt les lois de la nature qui allaient contre la production d’excellent café «en grand». La nécessité de « faire le meilleur, le plus vite possible et de la façon la plus économique » est une équation difficile à résoudre, quel que soit le produit auquel il se rapporte. C’est pourtant la solution à ce problème qui est au cœur des paramètres qui ont participé à la naissance de l’expresso.
Les technologies proposées alors ont bien répondu tant bien que mal au «faire le meilleur de façon économique» mais celles-ci n’étaient jamais rapides… et demandaient aux limonadiers de préparer la boisson à l’avance en la gardant au chaud, ce qui en dégrade les qualités.
- Dans le cas de l’infusion à la Dubelloy, il est possible d’avoir en attente de grandes quantités d’eau chaude mais l’infusion est lente.
- Dans le cas des cafetières à vapeur sur le principe des « cafetières italiennes », l’extraction est rapide mais attendre que l’eau arrive à ébullition est tout aussi long. Vu la qualité des métaux et des soudures à cette époque, laisser l’ébullition en attente de l’extraction dans une chaudière fermée, exposait à des risques d’explosion non négligeables.
Pour la troisième méthode d’extraction (les cafetières à siphon), le café était bien préparé (soit-disant) « à la minute » mais seulement « sur table », pour quelques tasses. Attendre l’ébullition était peut-être plus distrayant mais tout de même assez long (voir la caricature plus bas). De toute façon, il était impossible pour les cafés d’utiliser autant de cafetières que de clients…
Le Tintamare, 05 mars 1852 (source: « Gallica »)
Dans les faits, le développement des petites cafetières domestiques a certainement accéléré l’évolution de la préparation du café en grand, amenant au sein de la population une référence du bon café et rendant les clients plus exigeants. Finit le temps où on pouvait servir (littéralement) n’importe quel jus de chaussette ou faire passer de la chicorée pour du café… en tout cas auprès de certains, la boisson nationale étant quand même toujours le café au lait, et le café frelaté étant assez répandu.
L’Eclipse, 1877 (source: « Gallica »)
Les cafetières de Romershaussen et de Rabaut pouvait produire du café en grand, mais il n’est pas sûr que ces appareils aient été employés dans des établissements servant du café, leur configuration semblait plutôt faite pour un usage extérieur.
>1832<
Le premier à se préoccuper spécifiquement du café en grand dans les brevets français est Joseph-Patrice DU BOURG (résidant à Paris au 5, avenue des Champs-Élysées). « Jusqu’à ce jour, dans aucun pays, le caffé (sic) n’a été confectionné en grand et partout, dans les confections en petit, on a suivi des principes routiniers ». Ainsi débute son brevet de 1832 (octroyé pour dix ans, ce qui est rare à l’époque) intitulé « méthode de préparation en grand du café à la vapeur ». Son brevet ne comporte pas de dessin mais juste une description. L’installation utilise, « dans un laboratoire », un générateur de vapeur, qui pousse de l’eau à travers un appareil contenant le café avec des grilles des deux côtés et une tuile métallique pour retenir la poudre de café. Le café est récupéré dans une chaudière doublée de porcelaine ou de faïence en son intérieur (pour ne pas altérer le goût du café et le tenir au chaud sans qu’il atteigne l'ébullition) et est servi par un robinet. Il est annoncé qu’il est possible de produire une quantité énorme de café en peu de temps : 18 à 20,000 tasses en 15 à 21 min avec 150 kilos de café ou 150,000 tasses en moins de 9h ! Le but affiché est la distribution de café dans tous les quartiers d’une ville, ce qui se faisait encore au début du XXe par des marchand ambulants.
Vendeuse de café à Paris 1810)
Vendeuse de café à Paris vers 1900
Le soucis est un soucis d’économie : « Au moyen de cette invention la tasse de café au lait sucré, première qualité, qui se vend 60 centimes sera livrée au public à 15 centimes. La double tasse caffé Moka (1/4 de litre) sans lait, y compris le sucre rafiné à 13 cent. ½ »
Il en profite pour se plaindre au passage des « gros droits de douane sur les sucres et les caffés », mais conscient que cela pourrait jouer contre lui, il précise dans une note, qu’en considérant les droits perçus, «cette invention et sa propagation augmentera de plusieurs millions les revenus annuels de l’Etat».
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>1838<
Pierre-Médard GAUDICHON, dans son brevet de 1838 intitulé « moyen propre à faire du café, sans ébullition ni évaporation, et pour obtenir de cette fève tout l’arôme qu’elle contient » présente la toute première machine à «capsule» (c’est le terme employé dans le brevet). Des capsules pour du café en grand ? Enfin, pas n’importe quelle capsule, elle est rechargeable et a une taille imposante. C’est en fait une cafetière Morize (sur le principe de la cafetière dite «napolitaine»), qui se retourne sur un grand vase en porcelaine muni d’un robinet. Dans son «observation essentielle », à la fin du brevet, il précise que « l’appareil pour M. M. les limonadiers est le même sur une plus grande échelle». Il y ajoute aussi un système pour que l’eau repasse sur le marc afin de préparer plus de café (beurk). Je me demande comment ils faisaient pour ne pas s’ébouillanter dans la manœuvre de retournement…
Cafetière de Gaudichon, 1838 (source: « Archives INPI »)
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>1847<
L’appareil proposé par André GIRAUD (distillateur liquoriste à Paris, 43, rue du Faubourg-Poissonnière) en 1847, commence à ressembler franchement aux premières machines à café «Express». Son système dit «condensateur, appareil chimique, pour la préparation du café et du thé», se compose d’une cuve en cuivre de 8 à 9 litres de capacité (pour la «Demie grandeur»), chauffée au bois, qui envoie de l’eau dans deux «porte filtres cylindriques de la profondeur de 15cm et 11 de diamètre à double compartiment armé de trois filtres métalliques» situés de chaque côtés de la chaudière. L’eau poussée à travers ces filtres contenant la poudre de café (ou du thé) passe ensuite par un serpentin pour condenser les vapeurs aromatiques et est récupéré dans deux récipients de cristal gradués, munis de robinets. Ces récipient sont placés dans un vase à bain marie avant le service. Il est spécifié que l’appareil peut produire 50 tasses (d’un côté le thé et de l’autre le café) en 45 à 50 minutes et ne consomme que 4 à 5 centimes de chauffage.
Cafetière de Giraud, 1847 (source: « Archives INPI »)
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>1855<
L’Exposition Universelle
Bâtiment principal de l’Exposition Universelle de Paris, 1855
1855 est l’année de la première exposition universelle française, à Paris. Un imposant bâtiment a été construit près des Champs-Élysées pour l’occasion, qui comprenait une très longue annexe (une verrière de 1.2km le long et 17m de hauteur le long de la Seine) accueillant la Galerie des machines.*
Plan du site de l’Exposition Universelle de Paris, 1855
C’est dans cette annexe que se trouvait le tout nouvel appareil de Loysel, appelé «percolateur hydrostatique».
Percolateur hydrostatique de Loysel dans sa version petit format, 1855
Loysel, de son nom complet Edouard LOYSEL DE LA LANTAIS, né en 1816 à Vannes, était fils et petit-fils d’ingénieur. Lui-même ingénieur, professeur de sciences naturelles et de mécanique il a à son actif de nombreuses publications et plusieurs brevets. Avec son sens développé des affaires, il a commencé par breveter l’un des tous premiers panneaux publicitaire (1839 et 1842 :«mode de publicité dit annonciateur universel»), puis une modification au jeu d’échec (1841 et 1843), sur les traces de son père qui avait inventé un jeu de société. Des produits pour toucher le grand public… tout comme ses nombreux brevets de cafetières.
Le concept de sa première cafetière est développé dans différents brevets. Le premier, de 1843, la décrit comme un «genre de cafetière». Il s’agit d’une cafetière basée sur le principe de la cafetière à siphon mais qui chauffe le lait au bain-marie en même temps que l’eau. Le robinet de sortie est à double conduit, de sorte que le lait et le café sont mélangés pour produire la boisson préférée des français (ou des anglais si le café est remplacé par du thé) directement dans la tasse. Elle apparaît dans des publicités de journaux sous le nom de «cafetière Parisienne».
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Première cafetière de Loysel, 1843 (source: « Archives INPI »)
La Presse, 30 décembre 1843-12 janvier 1844 (source: « Gallica »)
Chose certaine, Loysel avait la bougeotte : il n’a jamais deux fois la même adresse sur les brevets, sûrement à la recherche de la meilleure occasion d’affaire ou du meilleur coup de publicité. Parti vivre en Angleterre en 1844, il y est naturalisé en 1849 et continue sur sa lancée. Il revient d’abord en 1853 avec une «cafetière Dubelloy perfectionnée» puis... la fameuse idée pour résoudre la quadrature du cercle : utiliser une nouvelle force pour l'extraction du café. Non pas encore une force mécanique mais la gravité ! L’eau amenée en hauteur pas la force de la pression de la vapeur est soumise alors à loi de Pascal: elle peut y rester chaude, en attente de l’extraction, qui se fera à force égale à celle de la vapeur qui l'a amené là-haut. Il suffisait d'y penser...
Le résultat donnait des cafetières aux proportions gigantesque qui n’étaient pas à la portée d’un petit ferblantier, mais typiques de l’aire industrielle naissante.
Percolateur Hydrostatique de Loysel, 1853 (source: « Archives INPI »)
À cette idée lumineuse, Loysel ajoute un coup de marketing grandiose: son «percolateur hydrostatique» est présenté à l’exposition universelle de Paris… exposée et servant des cafés à 5 millions de visiteurs éblouis par l’invention. Dans la revue Cosmos (Tome 7, p.127-135, 1855), il est dit que l'appareil contient 2000 tasses et coûte 6000 francs, une petite fortune pour l'époque. Le café, lui, était servit 20 centimes la tasse.
Fort de son succès, ce percolateur est déplacé dès la fin de l’Exposition Universelle au café Frascati, rue Montmartre où il rencontre aussi un franc succès. Son succès continue ensuite au palais des omnibus, sur la place du Palais Royal (où le percolateur restera jusqu’en 1860). Après avoir fondé « la compagnie générale des Percolateurs de la Seine», il en fera construire d'autres exemplaires dont des plus petits formats et en vendra à travers toute la France.
Établissement du Percolateur, Place du Palais-Royal, 1855
La Presse, 8 et 21 février 1856 (source: « Gallica »)
La Presse, 14 juillet 1856 – Le Figaro, 28 mai 1859 (source: « Gallica »)
À côté de ça...
La routine continue. L’année de l’exposition universelle, Jean Baptiste Antoine COUTANT, négociant à Paris (au 274, rue Saint-Honoré) présente un système de cafetière dite «Cafetière simplifiée» qui n’est autre qu’une Dubelloy avec de l’eau bouillante à disposition en tout temps dans la partie supérieure, prête à passer par l’ouverture d’un robinet. Le café passé se retrouve dans un autre compartiment de la partie inférieure et y est conservé au chaud par l’eau bouillante. Petit ajout ingénieux et simple à la toute première cafetière qui avait encore de beaux jours devant elle, y comprit dans les cafés.
Cafetière de Coutant, 1855 (source: « Archives INPI »)
De même, Jean-Baptiste DAGAND (demeurant au 388 rue Saint Denis à Paris) et son «système d’appareils-cafetières propres à l’infusion du café par aspersion et retour d’eau», n’invente pas l’eau chaude. Même s’il prétend que ses « appareils-cafetières évitent tous les inconvénients des anciennes cafetières du commerce toutes basées du reste sur d’autres principes que les miens. Ces inconvénients sont principalement : un remontage difficile à chaque fois que l’on veut s’en servir, des dangers d’éclats pour les appareils en verre lesquels cassent si souvent, lenteur des opérations». Il ne propose rien d’autre qu’une cafetière de Laurens modernisée (avec indicateurs de niveau, s’il vous plaît). Sa cible sont les siphons, dont l’effet de mode était passé et qui commençaient à avoir mauvaise presse. La publicité, faisant du neuf avec du vieux était en marche… et ça non plus ça n’était pas près de changer.
Cafetière de Dagand, 1855 (source: « Archives INPI »)
L’après Loysel
La Presse, 18 mars 1860 (source: « Gallica »)
Loysel meurt en 1865 et la mauvaise publicité, pour lui aussi, va arriver plus tard. On en retrouve des fragments dans la presse qui rapporte plusieurs accidents et explosions de percolateurs, causées certainement par le vieillissement des appareils.
La Presse, 4 juin 1895 (source: « Gallica »)
Le Figaro, 10 janvier 1901-1e septembre 1910-24 décembre 1913 (source: « Gallica »)
Mais les jalons de l'expresso étaient posés et Loysel a laissé son nom dans l'histoire comme en étant le précurseur. Il est aussi et surtout celui qui a apposé le nom de «percolateur» à ces étranges machines, faisant à la demande du café en grande quantité.
À suivre...
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+ Source: « Archives INPI », avec leur aimable autorisation.
* Traité de « bœuf foulant un parterre de roses » par Mirabeau, l’édifice a été détruit en 1899 pour être remplacé par le petit et le grand palais pour l’Exposition Universelle de 1900.
Dernière édition par Pootoogoo le Jeu 06 Mar 2014, 18:13, édité 3 fois
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« Le savoir est le seul bien qui augmente quand on le partage »
« Ce n'est qu'en essayant continuellement que l'on finit par réussir.
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pootoogoo- Admin
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Re: Fuir de la cafetière, les machines «Made in France»
ben chapô pour la narration, les documents et les articles de presse. On s'y croirait
rotchitos- Date d'inscription : 05/12/2009
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Broyeur : Mazzer kéké la praline
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Re: Fuir de la cafetière, les machines «Made in France»
Pootoogoo, merci pour ce dernier chapitre
Passionnant au point d'avoir oublié d'extraire mon ristretto ce matin tellement c 'est documenté
Les machines à siphon, avec leurt tailles , je ne connaissais pas !
Bravo pour ton travail
on suit parfaitement l'évolution de l'obtention du café . Ton travail est remarquable et ce d'autant plus qu'il est agrémenté de croquis explicatifs
Je n'ai qu'un souhait à formuler , vivement le chapitre suivant !!
Passionnant au point d'avoir oublié d'extraire mon ristretto ce matin tellement c 'est documenté
Les machines à siphon, avec leurt tailles , je ne connaissais pas !
Bravo pour ton travail
on suit parfaitement l'évolution de l'obtention du café . Ton travail est remarquable et ce d'autant plus qu'il est agrémenté de croquis explicatifs
Je n'ai qu'un souhait à formuler , vivement le chapitre suivant !!
hbf11- Date d'inscription : 04/04/2011
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Re: Fuir de la cafetière, les machines «Made in France»
Très beau travail, même si je n'ai pas encore tout lu.
Mais je ne résiste plus, je dois demander: Qu'est-ce que c'est que ce titre?? Fuir? fuir quoi?
Mais je ne résiste plus, je dois demander: Qu'est-ce que c'est que ce titre?? Fuir? fuir quoi?
Skydarking- Date d'inscription : 24/10/2013
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Re: Fuir de la cafetière, les machines «Made in France»
la cafetière en argot c'est la tête. "fuir de la cafetière" (dans le sens avoir une fuite, pas s'enfuir) c'est être un peu fêlé, cinglé, barjot si tu préfères...
j'en profite pour remercier pootoogoo aussi, c'est passionnant à lire
j'en profite pour remercier pootoogoo aussi, c'est passionnant à lire
cremoso- Date d'inscription : 13/06/2013
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Re: Fuir de la cafetière, les machines «Made in France»
Ouf d'accord! Merci pour les explications, je comprends le jeu de mot.
Je n'avais jamais entendu l'expression.
Je n'avais jamais entendu l'expression.
Skydarking- Date d'inscription : 24/10/2013
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