Albessard & Fils

Salut tout le monde,
je rencontrai hier André Albessard et sa femme Simone, un des(le?) derniers mohicans des petits fabricants parisiens de machine à café, et qui d'après mon hôte fut aussi le dernier fabricant à tenir têtes aux caïds qu'étaient les cafés Richard, qui rachetèrent, et rachètent encore de nos jours,toutes ces petites entreprises familiales, comme Elikan.
Je tâcherai de retranscrire ma rencontre avec M. Albessard le plus fidèlement, en le citant, ou en le paraphrasant...

Les débuts

Monsieur Albessard père, au sortir de la guerre de 14, commença comme étameur, récupérant chez les entreprises et particuliers seaux, bassines, lessiveuses, casseroles...afin de les rétamer.Un jour un client lui demanda si il pouvait réparer son percolateur, et ce fut le début de la spécialisation de la maison Albessard dans la machine à café, abandonnant rapidement l'étamage pour cette nouvelle activité.Les premiers modèles étaient de simples percolateurs, qu'il concevait de manière empirique, sans plans, ingénieur ou brevet




Les Albessard étaient d'origine auvergnate, et lorsqu'un auvergnat débarquait pour ouvrir un troquet, Albessard père posait gratuitement une de ses machines dans l'établissement, sans autre contrat que la parole donnée, et récupérait ses billes en fournissant l'entretien de la machine, ainsi que le café.Malgré l'absence de contrat, il n'a jamais perdu d'argent

Essor

A l'époque, on indiquait au client chez qui on installait les machines La Compagnie Française du Café, pour le grain.On leur en a fait vendre pas mal, mais on s'est aperçut un jour qu'ils vendaient de leur côté d'autres machines que les notres, des Conti. Alors du coup, et vu d'aujourdhui ça vous paraît rien, mais pour ces années là, 1945-1950, c'était quand même pas mal.J'ai dis à mon père et mon frère :" On va faire l'café nous mêmes !"
Voilà donc que nos fabricants de machines se lancent dans la torréfaction, au tournant de la deuxième guerre.10 kg par mois au début, juqu'à 6 tonnes par mois dans les grandes années.Les camions faisaient des aller-retour dans la cour de la rue gambetta, à Drancy, où la maison avait ses ateliers.Ainsi désormais les clients bénéficiaient de l'entretien gratuit de leur matériel contre l'achat du café chez Albessard, qui devint ainsi concurrent direct d'Alphonse Elikan qui torréfiait déjà de son côté en plus de son activité de fabricant.L'activité de torréfaction et d'entretien des machines fonctionna jusqu'à la fin de la première décennie de l'an 2000, menée par le neveu d'André, qui repris la boîte à la retraite de ce dernier, en 1983...

Les machines

Les premières machines étaient donc de simples percolateur "brûle café", puis petit à petit ils conçurent des systèmes plus modernes, toujours au début avec les moyens du bord.
Voici le premier exemplaire, je n'ai pas réussi à savoir si il est antérieur ou pas aux machins montrées précédemment:


on peut voir un avion en emblème de la marque, trônant sur le chapeau.Drancy est limitrophe du bourget, c'était donc le Quartier de l'aviation, d'où le "AV" avant le numéro de téléphone.La forme des réservoir rappelle les obus, vestige esthétique de la guerre de 14 à laquelle participa le père, d'après André

La première amélioration consista en un réservoir tampon entre la chaudière et le percolateur, qui permettait de ne pas trop brûler le café, qui était assez fameux avec ce système
le "refroidisseur", la cartouche en haut à droite.Entièrement fabriquée chez Albessard



le groupe style "express" sur la photo, c'est l'entrée en scène de la maison Barrier.Première version du genre.Barrier, rue des Envierges, dans le 20eme.Nous y reviendrons...

avant les groupes barrier, ils avaient conçu en famille ce groupe qui rappelle un peu par sa forme du moins les groupes Reneka


pas terrible pour le café apparemment, ce qui poussa à travailler avec Barrier

l'évolution se poursuit donc avec un nouveau groupe express Barrier, avec la poignée droite désormais


Albessard commence à bien se développer sur la capitale, équipant des cafés toujours plus grand, comme le Veau d'Or , point de ralliement des louchébem des halles de la villette.Elles ressemblaient à cette "Marcus Impérator", avec deux fois plus de chaudières pour les plus grandes comme celle du Veau d'Or

de gauche à droite: laitière, cafetière, chaudière, cafetière, et chocolatière

l'histoire de cette Imperator, c'est qu'elle fut envoyée à Oran, par un importateur qui en commanda plusieurs autres ensuite pour le marché Algérien

de groupe Barrier en groupe Barrier, arriva sur le marché le groupe levier, et la chaudière horizontale, pour faire face à l'arrivée des groupes italiens et français des mastodontes bien connus.Les Albessard avaient embauché dans les années soixante un ingénieur, sans doute d'origine hongroise, Pichmichian.Il inventa un groupe levier Albessard, avec une poignée "en fourche", à l'instar des Conti.Mais ce groupe levier étant moins performant que le Barrier, la production fut minime.Mais qui sait, peut être l'un de nous tombera un jour sur une de ces machines? Toujours est il qu'ils adoptèrent donc ce fameux groupe Barrier, comme Elikan, Vassal, et Lépine


cette photo de la machine de zeb est la seule en notre possession, les archives d'André ne comportent que les photos des big mama des débuts, qui firent leur gloire.D'après lui, cette levier daterait non pas de années soixante, mais 70...et ça n'est en fait pas le modèle qu'il avait construit de ses mains, mais une collaboration entre son frère et Pichmichian.
Avant l'arrivée de l'ingénieur, ils avaient essayé de concevoir une machine à chaudière horizontale.Mais ils n'étaient pas au fait des contraintes de pression, et conçurent une chaudière carrée, que l'ingénieur des mines venu pour la contrôler ne voulu pas valider.En voici le prototype, qui ne fut jamais commercialisé:


à noter les groupes équipant la machines, conçus par Pismishian et produits chez Racot, qui ne connurent pas un grand succés

Les italiens, c'est eux qui nous ont foutu parterre !
Dans les années soixante dix, la concurrence est de plus en plus rude, du côté des machines avec la production industrielle et de qualité de l'italie, et la force de frappe des cafés Richard.La maison Albessard commence donc à représenter des marques italiennes, tout en fournissant toujours leur café.faema un temps, avec des e61, mais surtout Eterna.A la retraite d'André, ils ne fabriquaient donc plus de machines, réalisant l'entretien des machines Eterna, ou Albessard encore en activité, et torréfiant.Quand le neveu repris la boîte il devint représentant d'Astoria, marque fort appréciée d'André, qui lui fait dire Ah! si on avait eu ces machines à l'époque, qu'est ce qu'on en aurait vendu! Il faut vous dire une chose, c'est qu'André ne comprend pas mon goût pour les leviers, pour lui c'est obsolète, les groupes auto sont bien plus efficaces.Il faut dire autre chose, c'est qu'André n'a jamais bu de café, il n'aime pas ça.c'est son frère qui validait les mélanges maisons, André étant plutôt le commercial, le baratineur, de la famille.
Albessard père mourut en 1982, André pris sa retraite en 1983, son frère pas de date, mais le neveu donc repris l'affaire jusqu'à sa propre retraite en 2007 je crois...ainsi se termina la saga Albessard, évincée par des entreprises aux méthodes capitalistes, mais indépendants jusqu'au bout.André regrette cependant de n'avoir pas laissé Richard les racheter, il pense aujourd'hui qu'il en eu tiré quelque argent, et peut être la pérennité de l'entreprise..ce en quoi je doute fortement...

Les fournisseurs

On fabriquait dans l'atelier albessard les chaudières, carrosseries, chassis...bref, c'était un atelier de chaudronnerie.Pour la partie fonderie, ils se fournissaient Chez Barrier et Racaud, qui équipaient donc aussi Elikan et Vassal.Barrier fournissait aussi la robinetterie.La bakélite, chez Fleury (orthographe à confirmer), et les joints, Miserco, qui fournissait la france entière en caoutchouteries en tous genres...
Il y a encore beaucoup à chercher du côté de ces fournisseurs...

Voilà pour ce compte rendu, merci à Monsieur et Madame Albessard pour leur gentillesse et leur hospitalité.Madame qui fut d'ailleurs la secrétaire de l'entreprise.Ils m'offrirent à boire un nespresso , et je laissai André encore interloqué sur l'intérêt que pouvait bien avoir pour moi cette histoire de café, et ce goût pour les vieilles leviers!

Joli travail. Bravo.

Merci les gars!

Pfiou quel plaisir ! Bravo et merci !

Super histoire et très belle rencontre !
tu n'as pas pris de photo d'eux ?

J'ai pas osé c'est couillon, mais vu la réaction d'André quand je prenais en photo ses photos, et son assentiment mitigé quand au fait que j'enregistre le son de notre discussion, je me suis pas senti de leur demander...je vais essayer de compiler quelques bons mots en audio, parce qu'il a sa petite gouaille le Albessard!

C'est tout à ton honneur, mais s'ils passent par ici constater ce qu'on dit d'eux, ça pourrait les deshiniber peut être en vue d'une prochaine rencontre... je dis ça comme ça, le monsieur va peut être se souvenir d'autres détails à force de se replonger dans ses souvenirs...

Je crois pas qu'ils aient internet, mais en revanche peut être qu'un de leurs enfants ou petits enfants aura vent de l'affaire, ça pourrait être intéressant d'avoir le témoignage du neveu ?

super intéressant et épatant, merci pour ce compte rendu!

Bravo elvice2000 pour ton reportage !

Bravo frérot ! Belle ironie que ce monsieur qui n'aime pas le café et sert du Nespresso !!

Tu l'as questionné plus avant sur Elikan ? Sur l'Automatic ?

les interviewés apprécient souvent d'avoir le retour de ce qu'ils ont dit ou de ce dont ils ont témoigné. P'tete leur envoyer le lien (pour les enfants) et imprimer ce compte-rendu d'interview et le leur envoyer par courrier s'ils n'ont pas internet ?

Après sa relecture, s'il a des suggestions ou désir de corriger qque chose etc. Ca lui permettrait aussi d'être rassuré sur le fait que ses photos ne sont pas galvaudées, mais au contraire resteront maintenant publiques et pour toujours; qu'elles ne seront pas perdues, et que ce sont et resteront bien les siennes.

C'est vrai que ça vaudrait le coup, je vais essayer de chopper le mail de quelqu'un de la famille...
@LTB , pour elikan, il n'a pas dit grand chose de plus que ce qu'on savait, il a confirmé qu'ils avaient des fournisseurs en commun.Il avaient un syndicat aussi , mais les réunions étaient un peu fantoches, les "caïds" comme il dit ne suivant pas franchement les décisions prises collectivement.Elikan était plus gros qu'Albessard, ils ont commencé l'activité de torréfaction bien avant eux.Elikan semble avoir été plus business man qu'Albessart père, plus entrepreneur, là où Albessard était plus un petit artisan indépendant qui a développé une activité sans stratégie commerciale....

Wow, cher reporter Elvice c'est super.

D'étameur à fabricant de machines... et qui a réussi à survivre à l'arrivée des leviers, c'est quand même quelque chose. Faut dire qu'il en avait vu d'autres, deux guerres notamment, "petites gens ordinaires" qui sont des héros de l'histoire. Et cette résistance à pas se faire avoir par les plus gros et cette persévérance à rester indépendant... il ont un peu lâché prise avec la Nespresso mais qu'importe.  

Aussi un torréfacteur et fabricant de machines qui ne buvait pas de café, faut le faire.  

Beaucoup d'émotion et toujours une part de mystère, celle-là même qui m'a plongé dans l'histoire des machines à café avec ce même groupe levier. Il y a un côté magique à tout ça quand même... comment un objet peut porter en lui toutes ces histoires. Bravo.

On en redemande...

Merci à toi, tes histoires en appellent d'autre, et je ne peux me souvenir qu'avec émotion de la découverte de l'automatic, quand tu m'as dis "tu ne te rends pas encore compte de ce que tu vient de dénicher".Certes même André Albessard se demande ce qui peut bien nous intéresser là dedans, mais à travers le prisme du café c'est une certaine histoire du monde et de son évolution qui nous est comptée
et il en reste beaucoup à découvrir, au final l'entreprise la plus mystérieuse des utilisateurs de groupe Barrier, c'est Lépine.M.Albessard n'en a jamais entendu parler....

En arrière, il est écrit "NATIONALE - Lépine". Du coup, c'est pas clair quel est la marque et le nom de modèle.

argh, quand même ça semble être le nom de la machine, Nationale,au féminin
c'est un américain qui détient cette machine ?

"Lépine", il n'y en a qu'un seul modèle connu (de façon certaine, voir la note en bas du post sur l'Automatic), elle est entre les mains de @tomlejardin s'il ne l'a pas revendue (et a été dégotée en France).

Ouuwaouu !! Merci elvice !

Franchement, chapeau bas !

merci à vous de m'avoir motivé à aller glaner ces infos!
du coup @pootoogoo , la lépine dont andrea a posté la photo sur HB serait la même que celle de tomlejardin ?on sait qui des deux l'a rénovée ? et j'oubliais la regina aussi, une autre orpheline?

Est ce que quelqu'un pourrait m'indiquer la marche à suivre pour insérer un fichier audio mp3 dans un post svp?

Soit en postant sur Youtube avec une petite manip préalable
https://support.google.com/youtube/answer/1696878?hl=fr

Soit via un hébergeur.

ça m'embête un peu de balancer les bons mots de M.Albesard sur you tube...je vais voir du côté des hébergeurs...